Les pannes AWS et Azure d’octobre 2025 : analyse, leçons et stratégies de résilience

On décrypte les pannes AWS et Azure en octobre 2025

Comment ces deux géants du Cloud ont-ils pu planter?

La Panne AWS du 20 octobre 2025 : Le scénario catastrophe en cascade

Le 20 octobre 2025, AWS a connu l’une de ses pannes régionales les plus sévères depuis des années. Au petit matin, le service DynamoDB (l’un des services de base de données managée centrale) a reçu une mise à jour contenant un défaut critique. Cette mise à jour a déclenché une série de défaillances en cascade qui ont impacté 113 services AWS différents durant plus de 15 heures.​

Le mécanisme de cette catastrophe est révélateur : la mise à jour problématique a provoqué une défaillance du système DNS (l’infrastructure qui traduit les noms de domaine en adresses IP). Sans DNS, les services AWS n’ont pas pu localiser la paire d’infrastructure critique, créant un effondrement progressif. ThousandEyes, plateforme de monitoring, a détecté une perte de paquets massive aux nœuds périphériques AWS situés en Virginie du Nord, le premier symptôme observable du désastre.

Les conséquences ont été globales : de nombreux systèmes et services comme Snapchat, Pinterest, Fortnite, Roblox, Reddit, Venmo, Disney+, Canva et même les systèmes de support et de détail d’Amazon retail lui-même se sont retrouvés déconnectés. La panne a particulièrement impacté la région us-east-1, le cœur de l’infrastructure Nord-Américaine d’AWS.​

Ce qui rend cet incident particulièrement préoccupant est qu’il s’inscrit dans un modèle architectural bien connu en gestion du risque : le « Swiss Cheese Model ». Plusieurs défaillances mineures s’alignent parfaitement pour créer un problème majeur. Dans ce cas, le défaut initial s’est accouplé à des faiblesses systéiques de redondance, et même le processus de récupération a agi comme une « couche supplémentaire de fromage suisse ».

La panne Microsoft Azure du 29 octobre 2025 : l’erreur de configuration centralisée

Une semaine à peine après la panne centralisée d’AWS, Microsoft a connu un incident très similaire. Le 29 octobre 2025, autour de midi heure de l’Est, une modification de configuration involontaire au sein d’Azure Front Door (AFD, le système mondial de distribution de contenu et d’équilibrage de charge de Microsoft) a déclenché une panne massive, qui a duré près de 9 heures.

Azure Front Door est l’épine dorsale du routage du trafic pour Azure et Microsoft 365. Une seule modification de configuration erronée a causé l’échec du chargement correct des nœuds AFD dans l’ensemble de la flotte mondiale. Cela a créé un déséquilibre du trafic : les nœuds « malsains » ont dû se retirer, surchargeant les nœuds sains restants.​

L’impact a été dévastateur et largement distribué. Azure Active Directory B2C, Azure Databricks, Azure SQL Database, Virtual Desktop, Microsoft Sentinel, et même le portail Azure lui-même sont devenus inaccessibles. Hors de Microsoft, Alaska Airlines et Hawaiian Airlines ont connu des problèmes de vérification en ligne des vols. Le parlement écossais a suspendu ses votes en direct. Plus de 16 000 rapports d’interruption Azure et 9 000 pour Microsoft 365 ont été enregistrés sur Downdetector.

La découverte critique : ce n’était pas une cyberattaque ni une défaillance matérielle, c’était une erreur humaine dans la gestion de configuration. Microsoft a dû bloquer tous les changements de configuration ultérieurs pour empêcher la propagation de l’état défectueux, puis déployer progressivement la « dernière bonne configuration » connue à travers sa flotte mondiale en phases contrôlées.

Peut-on s’attendre à d’autres incidents de ce type ?

Ces deux incidents font écho à un événement qui a marqué l’industrie une année plus tôt. En juillet 2024, la firme CrowdStrike (leader mondial en détection et réponse aux menaces (EDR) avec 18% de part de marché mondial) a déployé une mise à jour contenant un bug critique. Cette mise à jour a paralysé 8,5 millions d’ordinateurs Windows mondialement, et affecté le traffic aérien mondial pendant plusieurs jours.

Contrairement aux pannes cloud actuelles, CrowdStrike a eu des implications différentes mais tout aussi graves. L’incident a révélé plusieurs défaillances systémiques :​

  • Absence de test de changement adéquat : Les mises à jour n’ont pas été suffisamment validées avant le déploiement mondial​
  • Absence de redondance testée : Même les organisations qui suivaient les meilleures pratiques (maintenir une version retardée en production) ont découvert que des composants système critiques ne possédaient pas les protections attendues​
  • Absence d’évaluation des risques supply-chain : Les organisations n’avaient pas mappé les dépendances critiques envers les solutions de sécurité tierces​
  • Plans de réponse incident insuffisants : Même avec un plan de récupération en cas de désastre, les organisations ont peiné à implémenter les étapes de remédiation

Cet incident de 2024, combiné aux pannes AWS et Azure de 2025, établit un schéma clair : la vulnérabilité n’est pas techniquement inévitable, elle est organisationnelle. Les défaillances surviennent non pas à cause de la technologie qui reste extrêmement robuste, mais à cause de processus de gestion du changement insuffisants et de l’absence de validations de sécurité avant le déploiement.

Les risques futurs : une certitude statistique

La question cruciale n’est pas « si » une autre panne surviendra, mais « quand ». L’industrie cloud opère maintenant à une échelle où les erreurs affectent les millions d’utilisateurs et les milliers d’entreprises presque instantanément. Les facteurs de risque persistent :

  • Configuration et déploiement : À mesure que l’infrastructure s’étend, le nombre de points possibles de défaillance augmente exponentiellement. Les systèmes de contrôle centralisés, comme Azure Front Door ou AWS DNS, restent des points uniques de défaillance potentiels (ou SPOF ou pour Single Point of Failure)
  • Dépendances cachées : Comme l’a montré la panne CrowdStrike, les organisations ignorent souvent l’ampleur des dépendances envers les fournisseurs tiers.​
  • Accumulation des systèmes en couches : La modernité cloud s’appuie sur des couches de virtualisation. Un défaut dans une couche (DNS, load balancing, etc.) affecte tout ce qui en dépend provoquant une réaction en chaine en cas de problème.

Comment se protéger en tant qu’entreprise ?

Pour les organisations consommant des services de grands fournisseurs Cloud comme AWS ou Microsoft, l’approche doit être à plusieurs niveaux. Le message est clair : ne supposez jamais que votre fournisseur ne connaîtra jamais de panne, et identifier vos services critiques et les infrastructures sur lesquels ils reposent (en considérant également que de nombreuses solutions SaaS reposent sur des infrastructures AWS ou MS Azure).

Trois stratégies essentielles existent :

1. Mettre en place une architecture multi-région avec failover automatique

Pour les services critiques, dupliquez votre infrastructure dans plusieurs régions AWS ou Azure. Si une région connaît une panne, le trafic bascule automatiquement vers une région secondaire.​

Comment implémenter ?

  • Utilisez AWS Route 53 pour le routage DNS intelligent et le failover automatique​, ou Azure Traffic Manager pour les solutions Microsoft​
  • Mettez en place des vérifications de santé continues pour détecter les défaillances​, avec une stratégie d’observabilité robuste des systèmes critiques

L’avantage : même si une région comme us-east-1 (pour AWS) tombe en panne comme lors de l’incident d’octobre, votre trafic se redirige automatiquement vers us-west-2 ou une région européenne.

2. Diversifier son approche multi-Cloud pour les services critiques

Identifiez vos services les plus critiques du point de vue de la continuité des affaires (paiements, authentification, transactions, etc.), et envisagez une présence multi-cloud pour réduire la surface possible des incidents. Cela implique d’éviter ce qu’on appelle le vendor lock-in, qui consiste à privilégier un fournisseur principal pour la majorité de ses services ou de ses infrastructures.

Ce que cela signifie : 

  • Les fonctionnalités essentielles existent aussi bien dans AWS que dans Microsoft Azure
  • Les services moins critiques peuvent rester « mono cloud » pour contrôler la complexité des infrastructures, et également maitriser les coûts du cloud

Obstacles à considérer : 

  • Complexité opérationnelle et coûts accrus​
  • Nécessité d’abstraire la dépendance cloud
  • Plus d’équipes de support requises

Les sociétés de commerce électronique, les services financiers, et les fournisseurs de télécommunications devraient absolument envisager cette approche.

3. Tester en continu les plans de récupérations et les services Cloud 

Redondance au Niveau DNS et Caching 

Le DNS a échoué lors de la panne AWS et Azure Front Door (qui gère aussi le routage DNS) lors de l’incident Microsoft.​

Quoi faire ? 

  • Utilisez des TTLs (Time To Live) bas pour les enregistrements DNS critiques. Cela permet une bascule plus rapide si vous devez changer les points finaux​
  • Maintenez des chemins DNS alternatifs testés que vous pouvez basculer rapidement pendant une incident​
  • Soyez conscient que la réduction des TTLs augmente le volume de requêtes DNS – ce qui peut créer d’autres problèmes​

Limitations importantes : Les résolveurs DNS en amont et les caches CDN entretiendront les anciennes réponses indépendamment de votre TTL, créant une variabilité dans le temps de récupération client.

Patron d’architecture et « circuits breaker »

Implémentez un patron architectural, le « circuit breaker », qui, quand une dépendance commence à échouer, « ouvre le circuit », arrêtant les appels à ce service plutôt que de tenter des appels indéfiniment.​ Les études montrent que ce patron réduit les taux d’erreur de 58% et améliore la disponibilité du système de 10%.​

Exemple concret : Si Azure SQL Database devient inaccessible, votre circuit breaker détecte cela après quelques tentatives échouées et arrête d’envoyer des requêtes. Votre application passe à un mode dégradé (lecture seule du cache, par exemple) au lieu de tenter de traiter indéfiniment.

Plans de Continuité de Business Testés Régulièrement 

  • Identification des fonctions critiques : Quel sont les 3-5 processus sans lesquels votre business s’arrête ?
  • Évaluation des dépendances : Quelle infrastructure supporte chaque fonction ?
  • Définition des objectifs de récupération / sauvegarde : RTO (Recovery Time Objective) pour le temps maximal acceptable d’interruption, et RPO (Recovery Point Objective), pour le temps maximal que l’on tolère de perdre suite à un incident
  • Processus de test réguliers : Simulations au minimum trimestrielles​

L’erreur commune : Beaucoup d’organisations créent un plan de récupération et le rangent dans un dossier. Six mois plus tard, quand ils testent, ils découvrent que le plan est obsolète ou qu’il ne fonctionne pas correctement

Stratégies de Failover Multi-Région Coordonnées 

Les modèles de failover doivent aller au-delà d’une simple redondance de composants:​

  • Component-level failover : Le plus granulaire; chaque service a son propre plan de failover
  • Application-level failover : Groupes d’applications basculer ensemble, reconnaissant les dépendances
  • Dependency graph failover : Cartographie explicite des dépendances entre services; le failover respecte cet ordre
  • Portfolio-level failover : L’approche la plus coordonnée, où l’ensemble du portefeuille d’applications bascule ensemble​

Monitoring et Alertes Proactives 

  • Utilisez des outils de monitoring réseau comme ThousandEyes pour détecter les anomalies au niveau de l’infrastructure cloud elle-même, pas seulement vos applications​
  • Configurez des alertes qui s’activent non pas quand quelque chose s’est déjà cassé, mais quand des signaux anormaux début à apparaître

Du pessimisme à l’action

Les pannes AWS et Miscrosoft Azure d’octobre 2025 ne sont pas des aberrations. Elles sont des manifestations prévisibles de la complexité extrême des systèmes clou. Elles démontrent aussi que la résilience n’est pas automatique : elle est le résultat de choix architecturaux intentionnels, de processus disciplinés et d’un investissement continu dans les tests et les plans de récupération.

Pour les fournisseurs cloud, cela signifie de renforcer la gestion des changements et de tester davantage. Pour les organisations qui consomment ces services, cela signifie accepter une vérité inconfortable : aucun fournisseur ne peut garantir le zéro downtime. La résilience provient d’une combinaison de diversification, de redondance, de failover automatisé, et de plans d’urgence testés régulièrement.

Comme l’a montré l’expérience de CrowdStrike en 2024 et maintenant les pannes AWS-Azure, l’industrie est enfin en train d’apprendre cette leçon. La question maintenant n’est pas comment éviter les pannes, c’est comment les survivre avec un impact minimal sur vos opérations et vos clients.

Sans être fatalistes, n’oublions pas que le Cloud reste une opportunité incroyable pour la mise en place de nouveaux cas d’usages et d’accélérateurs, avec des fournisseurs extrêmement robustes.

 

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Auteur

  • Thibault Blaizot

    Leader - architecture, infonuagique, IA et transformation numérique